Il est minuit. Le banquet est terminé, les champs guerriers ont retenti. La horde s’est amassée sous le donjon d’où le chef prononce son discours. Les troupes sont galvanisées. La nuée est si compacte et si fébrile qu’on ne sent rien du vent glacial qui balaye la plaind Stéphanoise. Conscients du danger qui les attend, ces guerriers hétéroclytes se hazardent à peine à évoquer l’avenir : ils se concentrent sur la seule certitude de l’instant présent.
Moi-même, connu en mes terres sous le nom de Nu-Pattes, pourtant rôdé aux combats les plus hardus, ne parviens à maintenir ma sérénité qu’en facade. Chaussé de pourpre, l’habit léger, quelques maigres vivres dans la besace, je sais d’expérience qu’on ne sort pas indemne d’une telle épopée. Ici toute les échelles de valeur sont bousculées, nous ne sommes plus qu’Un, tous égaux devant le danger. Dans un ultime élan d’unité, chacun allume sa torche, comme un salut aux étoiles. Le tableau est magnifique.
Le tonnerre déchire soudain la nuit. Un coup de feu a retenti. La horde s’élance en hurlant vers cet ennemi incertain. À l’assaut de la colline, ils sont des milliers à fouler le sol, le baiser de leurs familles encore chaud sur leurs joues. Désormais chacun est seul avec à lui-même.
Des les premiers hectomètres, j’abandonne ma compagnonne de route, lui souhaitant d’aller de l’avant sans se retourner. La route semble facile, il n’en est rien : si la vive allure fait cingler le vent à nos oreilles, bientôt ce sera l’assaut de Ste Catherine. Aux premières côtes, certains continuent de courir. Je ne veux pas déjà diminuer mes forces : la marche rapide me permet de ne pas m’user. Toutefois dès le replat atteint, je relance ma monture à un bon rythme. Je croise St Christo en lui adressant à peine un bref salut : j’ai rendez-vous avec Ste Catherine à 3h30, le genre de rendez-vous qu’on ne peut manquer. La piste est piégeuse et par 3 fois elle m’étreindra de son baiser glacé. Ma cuirasse est solide, et je fais fi des blessures qu’elle m’inflige.
Enfin Ste Catherine la Majestueuse se dévoile : la première bataille est gagnée. En un instant, on me réchauffe d’une soupe, et je remplis mes gourdes du précieux Nectar de Vie. Déjà je dois repartir. Si bref, ce répis n’en fut pas moins salutaire ! Nous sommes au plein coeur de la nuit et la lucidité des combattants s’émousse.
Le bois d’Arfeuil est maudit, chacun redoute de s’y aventurer. Mais je ne suis pas supersticieux, et je connais la bataille que j’entreprends. Je me présente sans hâte, car seuls les coeurs humbles peuvent atteindre St Genoux sains et saufs. La bataille est rude, je suis mis à terre une fois encore. La descente est vertigineuse, littéralement infernale. Par nécessité, je m’arrête quelques minutes sur un chemin de traverse. La torche éteinte, oublié de tous, je profite de quelques instants de silence. Je contemple le spectacle de mes camarades sillonnant sans relâche la terrible piste.
C’est enfin l’ascension vers St Genoux. La vallée est franchie. Le combat, sourd, solitaire contre cet adversaire invisible, est décisif. Finlement vainqueur, je traverse Saint-André la Côte, épuisé par cette cavalcade de plus de 10 lieues déjà. C’est interminable mais je sais qu’ensuite c’est la lente redescente vers le château de Gerland. St Genoux, nous t’avons vaincu, plus rien ne pourra plus nous arrêter !
C’est à un petit trot que nous atteignons Soucieux. Quelle hospitalité ! Un palais digne des plus grandes salles de fête, où l’on imagine presque l’âtre où le gibier rôtirait, bouillonnant de tout son jus sous la caresse des flammes. Mais ce fantasme nous envoûte, c’est encore un piège ! Le temps passe, l’ennemi reste sur nos talons ! Il faut repartir à la hâte, il est à présent urgent d’atteindre Bonan ! Ici seulement nous serons en sécurité. Déjà le jour se lève, et nous pensons au plus braves, les plus chanceux, qui déjà sont sûrement au bout de leur périple.
Nous repartons encore, ceux à qui le courage ne fait pas encore défaut soutiennent ceux qui souffrent le martyre. Pour ma part, j’encourage, je réconforte, pour oublier mes propres maux. Les paroles sont rares et les respirations soutenues. Après un interminable parcours, nous atteignons l’ultime étape, pour livrer le dernier combat. Chacun se prépare, avec la plus grande célérité. Nous n’avons qu’une idée en tête : en terminer enfin !
À la sortie de Bonan, nous remontons ce qui nous semble un Everest. La dernière bataille est rude, mais la délivrance proche donne du coeur aux guerriers. Ici la douleur a fait place à une transe qui anihile tous nos repères. Hagards, nous ne nous rendons même pas compte que la lutte est terminée et que nous avons basculé dans la descente vertigineuse. Les escaliers disparaissent en une volée. En un pas la Saône est franchie. Nous nous dissumulons quelques instants à l’abri des berges, puis remontons pour traverser le pont Pasteur.
Enfin nous sommes en terres accueillante. Encore quelques toises dans le parc, le Château de Gerland ne se montre qu’au dernier moment. Nous y entrons après avoir passé les oriflames, survolons sous le pont, franchissons la porte, et pour la plupart, nous effondrons aussitôt, épuisés, parfois en larmes.
Car ici point de dragon à occire ou de princesse à delivrer. L’ennemi, contre lequel chacun a livré cette lute acharnée et impitoyable, c’est soi-même. Et ceux qui sont là rentreront chez les leurs l’esprit plein de cette expérience qui surpasse les mots, heureux d’avoir fait partie l’espace d’une nuit du Clan, et marqué à jamais du sceau des Chevaliers de la Saintélyon.
Hum… Enfin bref, c’était chouette à l’année prochaine !
Une épopée fort bien contée qui rappelle de bon souvenirs et change des hauts faits habituels de la blogosphère.